quarta-feira, 30 de janeiro de 2013

Les caves du Vatican Sotie pour André Gide. - Livre PREMIER, I, II, et III


Les caves du Vatican Sotie
pour André Gide.

LIVRE PREMIER

Anthime Armand-Dubois

_Pour ma part, mon choix est fait. J'ai opté pour l'athéisme social. Cet athéisme, je l'ai exprimé depuis une quinzaine d'années, dans une série d'ouvrages..._...

Georges Palante.

Chronique philosophique du _Mercure de France_ (Déc. 1912)

I.

L'an 1890, sous le pontificat de Léon XIII, la renommée du docteur X, spécialiste pour maladies d'origine rhumatismale, appela à Rome Anthime Armand-Dubois, franc-maçon.

-- Eh quoi? s'écriait Julius de Baraglioul, son beau-frère, c'est votre corps que vous vous en allez soignez à Rome! Puissiez-vous reconnaître là-bas combien votre âme est plus malade encore!

A quoi répondait Armand-Dubois sur un ton de commisération renchérie:

-- Mon pauvre ami, regardez donc mes épaules.

Le débonnaire Baraglioul levait les yeux malgré lui vers les épaules de son beau-frère; elles se trémoussaient, comme soulevées par un rire profond, irrépressible; et c'était certes grand-pitié que de voir ce vaste corps à demi perclus occuper à cette parodie le reliquat de ses disponibilités musculaires. Allons! décidément leurs positions étaient prises, l'éloquence de Baraglioul n'y pourrait rien changer. Le temps peut-être? le secret conseil des saints lieux... D'un air immensément découragé, Julius disait seulement:

-- Anthime, vous me faites beaucoup de peine (les épaules aussitôt s'arrêtaient de danser, car Anthime aimait son beau-frère). Puissé-je, dans trois ans, à l'époque du jubilé, lorsque je viendrai vous rejoindre, puissé-je vous trouver amendé!

Du moins Véronique accompagnait-elle son époux dans des dispositions d'esprit bien différentes: pieuse autant que sa soeur Marguerite et que Julius, ce long séjour à Rome répondait à l'un des chers entre ses voeux; elle meublait de menues pratiques pieuses sa monotone vie déçue, et, bréhaigne, donnait à l'idéal les soins que ne réclamait d'elle aucun enfant. Hélas! elle ne gardait pas grand espoir de ramener à Dieu son Anthime. Elle savait depuis longtemps de quel entêtement était capable ce large front barré de quel déni. L'abbé Flons l'avait avertie:

-- Les plus inébranlables résolutions, lui disait-il, madame, ce sont les pires. N'espérez plus que d'un miracle.

Même, elle avait cessé de s'attrister. Dès les premiers jours de leur installation à Rome, chacun des deux époux, de son côté, avait réglé son existence retirée: Véronique dans les occupations du ménage et dans les dévotions, Anthime dans ses recherches scientifiques. Ils vivaient ainsi l'un près de l'autre, se supportant en se tournant le dos. Grâce à quoi régnait entre eux une manière de concorde, planait sur eux une sorte de demi-félicité, chacun d'eux trouvant dans le support de l'autre l'emploi discret de sa vertu.

L'appartement qu'ils avaient loué par l'entremise d'une agence présentait, comme la plupart des logements italiens, joints à d'imprévus avantages, de remarquables inconvénients. Occupant tout le premier étage du palais Forgetti, via in Lucina, il jouissait d'une assez belle terrasse, où tout aussitôt Véronique s'était mis en tête de cultiver des aspidistras, qui réussissent si mal dans les appartements de Paris; mais, pour se rendre sur la terrasse, force était de traverser l'orangerie dont Anthime avait fait aussitôt son laboratoire, et dont il avait été convenu qu'il livrerait passage de telle heure à telle heure du jour.

Sans bruit, Véronique poussait la porte, puis glissait furtivement, les yeux au sol, comme passe un convers devant les _graffiti_ obscènes; car elle dédaignait de voir, tout au fond de la pièce, débordant du fauteuil où s'accotait une béquille, l'énorme dos d'Anthime se voûter au-dessus d'on ne sait quelle maligne opération. Anthime, de son côté, affectait de ne la point entendre. Mais, sitôt qu'elle avait repassé, il se soulevait de son siège, se traînait vers la porte et, plein de hargne, les lèvres serrées, d'un coup d'index autoritaire, vlan! poussait le loquet.

C'était l'heure bientôt où, par l'autre porte, Beppo le procureur entrait prendre les commissions.

Galopin de douze ans ou treize, en haillons, sans parents, sans gîte, Anthime l'avait remarqué peu de jours après son arrivée à Rome. Devant l'hôtel où le couple était d'abord descendu via di Bocca di Leone, Beppo sollicitait l'attention du passant ay moyen d'un criquet blotti sous une pincée d'herbe dans une petite nasse de jonc. Anthime avait donné dix sous pour l'insecte, puis, avec le peu d'italien qu'il savait, tant bien que mal avait fait entendre à l'enfant que, dans l'appartement où il devait emménager le lendemain, via in Lucina, il aurait bientôt besoin de quelques rats. Tout ce qui rampait, nageait, trottait ou volait servait à le documenter. Il travaillait sur la chair vive.

Beppo, procureur-né, aurait fourni l'aigle ou la louve du Capitole. Ce métier lui plaisait qui flattait son goût de maraude. On lui donnait dix sous par jour; il aidait, d'autre part, au ménage. Véronique d'abord le regardait d'un mauvais oeil; mais du moment qu'elle le vit se signer en passant devant la Madone à l'angle nord de la maison, elle lui pardonna ses guenilles et lui permit de porter jusqu'à la cuisine l'eau, le charbon, le bois, les sarments; il portait même le panier quand il accompagnait Véronique au marché -- le mardi et le vendredi, jours où Caroline, la bonne qu'ils avaient amenée de Paris, était trop occupée par le ménage.

Beppo n'aimait pas Véronique; mais il s'était épris du savant, qui bientôt, au lieu de descendre péniblement dans la cour prendre livraison des victimes, permit à l'enfant de monter au laboratoire. On y accédait directement par la terrasse, qu'un escalier dérobé reliait à la cour. Dans sa revêche solitude, le coeur d'Anthime battait un peu lorsque approchait le faible claquement des petits pieds nus sur les dalles. Il n'en laissait rien voir: rien le dérangeait de son travail.

L'enfant ne frappait pas à la porte vitrée: il grattait; et, comme Anthime restait courbé devant sa table sans répondre, il avançait de quatre pas et jetait de sa voix fraîche un "permesso?" qui remplissait d'azur la pièce. A la voix on eût dit un ange: c'était un aide-bourreau. Dans le sac qu'il posait sur la table à supplice, quelle nouvelle victime apportait-il? Souvent, trop absorbé, Anthime n'ouvrait pas le sac aussitôt; il y jetait un rapide coup d'oeil; du moment que la toile tremblait, c'était bien: rat, souris, passereau, grenouille, tout était bon pour ce Moloch.
Parfois Beppo n'apportait rien; il entrait tout de même: il savait qu'Armand-Dubois l'attendait, fût-ce les mains vides; et, tandis que l'enfant silencieux aux côtés du savant se penchait vers quelque abominable expérience, je voudrais pouvoir assurer que le savant ne goûtait pas un vaniteux plaisir de faux dieux à sentir le regard étonné du petit se poser, tour à tour, plein d'épouvante, sur l'animal, plein d'admiration sur lui-même.

En attendant de s'attaquer à l'homme, Anthime Armand-Dubois prétendait simplement réduire en "tropismes" toute l'activité des animaux qu'il observait. Tropismes! Le mot n'était plus tôt inventé que déjà l'on ne comprenait plus rien d'autre; toute une catégorie de psychologues ne consentit plus qu'aux _tropismes_. Tropismes! Quelle lumière soudaine émanait de ces syllabes! Évidemment l'organisme cédait aux mêmes incitations que l'héliotrope lorsque la plante involontaire tourne sa face au soleil (ce qui est aisément réductible à quelques simples lois de physique et de thermo-chimie). Le cosmos enfin se douait d'une bénigté rassurante. Dans les plus surprenants mouvements de l'être on pouvait uniment reconnaître une parfaite obéissance à l'agent.

Pour servir à ses fins, pour obtenir de l'animal maté l'aveu de sa simplicité, Anthime Armand-Dubois venait d'inventer un compliqué système de boîtes à couloirs, à trappes, à labyrinthes, à compartiments contenant les uns la nourriture, les autres rien, ou quelque poudre sternutatoire, à portes de couleurs ou de formes différentes: instruments diaboliques qui tôt après firent fureur en Allemagne et qui, sous le nom de _Vexierkasten_, servirent à la nouvelle école psycho-physiologique à faire un pas de plus dans l'incrédulité. Et pour agir distinctement sur l'un ou l'autre sens de l'animal, sur l'une ou l'autre partie du cerveau, il aveuglait ceux-ci, assourdissait ceux-là, les châtrait, les décortiquait, les écervelait, les dépouillait de tel ou tel organe que vous eussiez juré indispensable, dont l'animal, pour l'instruction d'Anthime, se passait.

Son _Communiqué sur les "réflexes conditionnels"_ venait de révolutionner l'Université d'Upsal; d'âpres discussions s'étaient élevées, auxquelles avait pris part l'élite des savants étrangers. Dans l'esprit d'Anthime, cependant, s'ameutaient les questions nouvelles; laissant donc ergoter ses collègues, il poussait ses investigations dans d'autres voies, prétendant forcer Dieu dans de plus secrets retranchements.

Que toute activité entraînait une usure, il ne lui suffisait pas de l'admettre _grosso modo_, ni que l'animal, par le seul exercice de ses muscles ou de ses sens, dépensât. Après chaque dépense, il demandait: combien? Et le patient exténué cherchait-il à récupérer, Anthime, au lieu de le nourrir, le pesait. L'apport de nouveaux éléments eût compliqué par trop l'expérience que voici: six rats jeûnants et ligotés entraient quotidiennement en balance; deux aveugles, deux borgnes, deux y voyant; de ces derniers un petit moulin mécanique fatiguait sans cesse la vue. Après cinq jours de jeûne, dans quels rapports étaient les pertes respectives? Sur de petits tableaux _ad hoc_, Armand-Dubois, chaque jour, à midi, ajoutait de nouveaux chiffres triomphaux.


LIVRE PREMIER - II.

Le jubilé était tout proche. Les Armand-Dubois attendaient les Baraglioul d'un jour à l'autre. Le matin que parvint la dépêche annonçant leur arrivée pour le soir, Anthime sortit pour s'acheter une cravate.

Anthime sortait peu; le moins souvent possible, se remuant malaisément; Véronique faisait volontiers pour lui ses emplettes; on amenait à lui les fournisseurs, qui prenaient commande d'après modèle. Anthime ne se souciait plus des modes; mais, pour simple qu'il désirât sa cravate (modeste noeud de surah noir), encore la voulait-il choisir. Le plastron en satin carmélite, qu'il avait acheté pour le voyage et mis durant son séjour à l'hôtel, s'échappait constamment du gilet, qu'il avait accoutumé de porter très ouvert; Marguerite de Baraglioul trouverait certainement trop négligé le foulard crème qui l'avait remplacé, et que maintenait, monté sur épingle, un vieux gros camée sans valeur; il avait eu bien tort de quitter les petits noeuds noirs tout faits qu'il portait à Paris communément, et surtout de n'en pas garder un pour modèle. Quelles formes allait-on lui proposer? Il ne se déciderait pas avant d'avoir visité plusieurs chemisiers du Corso et de la via dei Condotti.
Les coques, pour un homme de cinquante ans, étaient trop libres; décidément c'était un noeud tout droit, d'un noir bien mat, qui convenait...

Le déjeuner n'était que pour une heure. Anthime rentra vers midi avec l'emplette, à temps pour peser ses animaux.

Ce n'était pas qu'il fût coquet, mais Anthime éprouva le besoin d'essayer sa cravate avant de se mettre au travail. Un débris de miroir gisait là, qui lui servait naguère à provoquer des tropismes; il le posa de champ contre une cage et se pencha vers son propre reflet.

Anthime portait en brosse des cheveux encore épais, jadis roux, aujourd'hui de cet inconstant jaune grisâtre que prennent les vieux objets d'argent doré; ses sourcils avançaient en broussailles au-dessus d'un regard plus gris, plus froid qu'un ciel d'hiver; ses favoris, arrêtés haut et coupés court, avaient conservé le ton fauve de sa moustache bourrue. Il passa le revers de la main sur ses joues plates, sous son large menton carré:

-- Oui, oui, marmonna-t-il, je me raserai tantôt.

Il sortit de l'enveloppe la cravate, la posa devant lui; enleva l'épingle-camée, puis le foulard. Sa nuque était puissante, qu'encerclait un col demi-haut, échancré par-devant et dont il rabattait les pointes. Ici, malgré tout mon désir de ne relater que l'essentiel, je ne puis passer sous silence la loupe d'Anthime Armand-Dubois. Car, tant que je n'aurai pas plus sûrement appris à démêler l'accidentel du nécessaire, qu'exigerais-je de ma plume sinon exactitude et rigueur? Qui pourrait affirmer en effet que cette loupe n'avait joué aucun rôle, qu'elle n'avait pesé d'aucun poids dans les décisions de ce qu'Anthime appelait sa _libre_ pensée? Plus volontiers il passait outre sa sciatique; mais cette mesquinerie, il ne la pardonnait pas au bon Dieu.

Ça lui était venu il ne savait comment, peu de temps après son mariage; et d'abord il n'y avait eu, au sud-est de son oreille gauche, où le cuir devient chevelu, qu'un cicer sans autre importance; longtemps, sous l'abondant cheveu qu'il ramenait en boucle par-dessus, il put dissimuler l'excroissance; Véronique, elle-même, ne l'avait pas encore remarquée, lorsque, dans une caresse nocturne, sa main soudain la rencontrant:

-- Tiens! qu'est-ce que tu as là? s'était-elle écriée.

Et comme si, démasquée, la grosseur n'avait plus à garder de retenue, elle prit en peu de mois les dimensions d'un oeuf de perdrix, puis de pintade, puis de poule et s'en tint là, tandis que le cheveu plus rare se partageait à l'entour d'elle et l'exposait. A quarante-six ans, Anthime Armand-Dubois n'avait plus à songer à plaire; il coupa ras ses cheveux et adopta cette forme de faux cols demi-hauts dans lesquels une sorte d'alvéole réservée cachait la loupe, et la révélait à la fois. Suffit pour la loupe d'Anthime.

Il passa la cravate autour de son cou. Au centre de la cravate, à travers un petit couloir de métal, devait glisser le ruban d'attache, que s'apprêtait à coincer un bec en levier. Ingénieux appareil, mais qui n'attendait que la visite du ruban pour abandonner la cravate; celle-ci retomba sur la table d'opération. Force était de recourir à Véronique; elle accourut à l'appel.

-- Tiens, recouds-moi ça, dit Anthime.

-- Travail à la machine: ça ne vaut rien, murmura-t-elle.

-- Il est de fait que ça ne tient pas.. 

Véronique portait toujours, piquées à son caraco d'intérieur, sous le sein gauche, deux aiguilles tout enfilées, l'une de blanc, l'autre de noir. Près de la porte-fenêtre, sans même s'asseoir, elle commença la réparation. Anthime cependant la regardait. C'était une assez forte femme, aux traits marqués; entêtée comme lui, mais accorte après tout, et la plupart du temps souriante, au point qu'un peu de moustache ne durcissait pas trop son visage.

-- Elle a du bon, pensait Anthime en la voyant tirer l'aiguille. J'aurais pu épouser une coquette qui m'eût trompé une volage qui m'eût planté là, une bavarde qui m'eût rompu la tête, une bécasse qui m'eût fait sortir de mes gonds, une grinchue comme ma belle-soeur...

Et sur un ton moins rogue que de coutume:

-- Merci, dit-il, comme Véronique, son travail achevé, repartait.

La cravate neuve à son cou, Anthime à présent est tout à ses pensées. Plus aucune voix ne s'élève, ni au-dehors, ni dans son coeur. Il a déjà pesé les rats aveugles. Qu'est-ce à dire? Les rats borgnes sont stationnaires. Il va peser le couple intact. Tout à coup un sursaut si brusque que la béquille roule à terre. Stupeur! les rats intacts... il les repèse à neuf; mais non, il faut bien s'en convaincre: les rats intacts, depuis hier, _ont augmenté!_ Une lueur traverse son cerveau:

-- Véronique!

Avec un grand effort, ayant ramassé sa béquille, il se rue vers la porte:

-- Véronique!

Elle accourt de nouveau, obligeante. Alors lui, sur le pas de la porte, solennellement:

-- Qui est-ce qui a touché à mes rats?

Pas de réponse. Il reprend lentement, détachant chaque mot, comme si Véronique avait cessé de comprendre facilement le français:

-- Pendant que j'étais sorti, quelqu'un leur a donné à manger. Est-ce vous?

Alors elle, qui retrouve un peu de courage, se retourne vers lui presque agressive:

-- Tu les laissais mourir de faim, ces pauvres bêtes. Je n'ai pas dérangé ton expérience; simplement je leur ai...

Mais il l'a saisie par la manche et, clopinant, la mène jusqu'à la table où, désignant les tableaux d'observations:

-- Vous voyez bien ces feuilles -- où depuis quinze jours je consigne mes remarques sur ces bêtes: ce sont celles mêmes qu'attend mon collègue Potier pour en donner lecture à l'Académie des Sciences en sa séance du 17 mai prochain. Ce quinze avril, jour où nous sommes, à la suite de ces colonnes de chiffres, que puis-je écrire? que dois-je écrire?...

Et comme elle ne souffle mot, du bout carré de son index, comme avec un stylet, grattant l'espace blanc du papier:

-- Ce jour là, reprend-il, madame Armand-Dubois épouse de l'observateur, n'écoutant que son tendre coeur, commit la ... qu'est-ce que vous voulez que je mette? la maladresse? l'imprudence? la sottise?...

-- Ecrivez plutôt: eut pitié de ces pauvres bêtes, victimes d'une curiosité saugrenue.

Il se redresse, très digne:

-- Si c'est ainsi que vous le prenez, vous comprendrez, madame, que désormais je doive vous prier de passer par l'escalier de la cour pour aller soigner vos plantations.

-- Croyez-vous que j'entre jamais dans votre galetas pour mon plaisir?

-- Epargnez-vous la peine d'y entrer à l'avenir.

Puis, joignant à ces mots l'éloquence du geste, il saisit les feuilles d'observations et les déchire en petits morceaux.

"Depuis quinze jours", a-t-il dit: en vérité ses rats ne jeûnent que depuis quatre. Et son irritation sans doute s'est exténuée dans cette exagération du grief, car à table il peut montrer un front serein; même, il pousse la philosophie jusqu'à tendre à sa moitié une dextre conciliatrice. Car, moins encore que Véronique, il ne se soucie de donner à ce ménage si bien pensant des Baraglioul le spectacle de dissensions dont ceux-ci ne manqueraient pas de faire les opinions d'Anthime responsables.

Vers cinq heures Véronique change son caraco d'intérieur contre une jaquette de drap noir et part à la rencontre de Julius et de Marguerite, qui doivent entrer en gare de Rome à six heures. Anthime va se raser; il a bien voulu remplacer son foulard par un noeud droit: voici qui doit suffire; il répugne à la cérémonie et prétend ne pas désavouer devant sa belle-soeur une veste d'alpaga, un gilet blanc chiné de bleu, un pantalon de coutil et de confortables pantoufles de cuir noir sans talons, qu'il garde même pour sortir, et qu'excuse sa claudication.

Il ramasse les feuilles déchirées, remet bout à bout les fragments, et recopie soigneusement tous les chiffres, en attendant les Baraglioul.


LIVRE PREMIER - III.

La famille de Baraglioul (le _gl_ se prononce en _l_ mouillé, à l'italienne comme dans _Broglie_ (duc de) et dans _miglionnaire_) est originaire de Parme. C'est un Baraglioli (Alessandro) qu'épousait en secondes noces Filippa Visconti, en 1514, peu de moi après l'annexion du duché aux États de l'Église. Un autre Baraglioli (Alessandro également) se distingua à la bataille de Lépante et mourut assassiné en 1580, dans des circonstances qui demeurent mystérieuses. Il serait aisé, mais sans grand intérêt, de suivre les destinées de la famille jusqu'en 1807, époque où Parme fut réuni à la France, et où Robert de Baraglioul, grand-père de Julius, vint s'installer à Pau. En 1828, il reçut de Charles X la couronne de comte -- couronne que devait porter si noblement un peu plus tard Juste-Agénor, son troisième fils (les deux premiers moururent en bas âge), dans les ambassades où brillait son intelligence subtile et triomphait sa diplomatie.

Le deuxième enfant de Juste-Agénor de Baraglioul, Julius, qui depuis son mariage vivait complètement rangé, avait eu quelques passions dans sa jeunesse. Mais, du moins, pouvait-il se rendre cette justice que son coeur n'avait jamais dérogé. La distinction foncière de sa nature et cette sorte d'élégance morale qui respirait dans ses moindres écrits avaient toujours empêchés ses désirs sur la pente où sa curiosité de romancier leur eût sans doute lâché bride. Son sang coulait sans turbulence, mais non pas sans chaleur, ainsi qu'en eussent pu témoigner plusieurs aristocratiques beautés... Et je n'en parlerais pas ici, si ses premiers romans ne l'avaient clairement laissé entendre; à quoi ils durent en partie le grand succès mondain qu'ils remportèrent. La haute qualité du public susceptible de les admirer leur permit de paraître: l'un dans le _Correspondant_, deux autres dans la _Revue des Deux Mondes_.
C'est ainsi que, comme malgré lui; encore jeune, il se trouva tout porté vers l'Académie: déjà semblaient l'y destiner sa belle allure, la grave onction de son regard et la pâleur pensive de son front.

Anthime professait grand mépris pour les avantages du rang, de la fortune et de l'aspect, ce qui ne laissait pas de mortifier Julius; mais il appréciait chez Julius certain bon naturel, et une grande maladresse dans la discussion, qui souvent laissait à la libre pensée l'avantage.

A six heures, Anthime entend stopper devant la porte la voiture de ses hôtes. Il sort à leur rencontre sur le palier. Julius monte le premier. Avec son chapeau cronstadt, son pardessus droit à revers de soie, on le dirait en tenue de visite, non de voyage, n'était le châle écossais qu'il porte sur l'avant-bras; la longueur du trajet ne l'a nullement éprouvé.

Marguerite de Baraglioul suit, au bras de sa soeur; elle, très défaite au contraire, capote et chignon de travers, trébuchant aux marches, un quartier de visage caché par son mouchoir qu'elle tient en compresse... Comme elle approche d'Anthime.

-- Marguerite a un charbon dans l'oeil, glisse Véronique.

Julie, leur fille, gracieuse enfant de neuf ans, et la bonne, qui ferment la marche, gardent un silence consterné.

Avec le caractère de Marguerite, il ne s'agit pas de prendre la chose en riant: Anthime propose d'envoyer quérir un oculiste; mais Marguerite connait de réputation les médicastres italiens, et ne veut "pour rien au monde" en entendre parler; elle souffle d'une voix mourante:

-- De l'eau fraîche. Un peu d'eau fraîche, simplement. Ah!

-- Ma chère soeur, effectivement, reprend Anthime, l'eau fraîche pourra vous soulager un instant en décongestionnant votre oeil; mais elle n'enlèvera pas le mal.

Puis, se tournant vers Julius:

-- Avez-vous pu voir ce que c'était?

-- Pas très bien. Dès que le train s'arrêtait et que je me proposais d'examiner, Marguerite commençait de s'énerver...

-- Mais ne dis donc pas cela, Julius! Tu as été horriblement maladroit. Pour me soulever la paupière, tu as commencé par me retourner tous les cils...

-- Voulez-vous que j'essaie à mon tour, dit Anthime: je serai peut-être plus habile?

Une facchino montait les malles. Caroline alluma une lampe à réflecteur.

-- Voyons, mon ami, tu ne vas pas faire cette opération dans le passage, dit Véronique, et elle mène les Baraglioul à leur chambre.

L'appartement des Armand-Dubois se développait autour de la cour intérieure où prenaient jour les fenêtres d'un couloir qui, partant du vestibule, rejoignait l'orangerie. Sur ce couloir ouvraient les portes de la salle à manger d'abord, puis du salon (énorme pièce d'angle, mal meublée, dont ne se servaient pas les Anthime), de deux chambres d'amis préparées, la première pour le couple Baraglioul, la seconde plus petite pour Julie, auprès de la dernière chambre, celle du couple Armand-Dubois. Toutes ces pièces, d'autre part, communiquaient entre elles intérieurement. La cuisine et deux chambres de bonnes donnaient sur l'autre côté du palier...

-- Je vous en prie, ne soyez pas tous autour de moi, gémit Marguerite; Julius, occupe-toi donc des bagages.


Véronique a fait asseoir sa soeur dans un fauteuil et tient la lampe, tandis qu'Anthime s'attentionne:



-- Le fait est qu'il est enflammé. Si vous retiriez votre chapeau.

Mais Marguerite, craignant peut-être que sa coiffure en désordre ne laisse paraître ses éléments d'emprunt, déclare qu'elle ne le retirera que plus tard; un chapeau cabriolet à brides ne l'empêchera pas d'appuyer sa nuque au dossier.

-- Alors vous m'invitez à sortir la paille de votre oeil avant d'ôter la solive qui est dans le mien, dit Anthime avec une sorte de ricanement. Voilà qui me paraît bien contraire aux préceptes évangéliques!

-- Ah! je vous en prie, ne me faites pas trop chèrement payer vos soins.

-- Je ne dis plus rien... Avec le soin d'un mouchoir propre... je vois ce que c'est... n'ayez pas peur, cré-nom! regardez au ciel!... la voici.

Et Anthime enlève à la pointe du mouchoir une escarbille imperceptible.

-- Merci! merci. Laissez-moi, maintenant; j'ai une affreuse migraine.

Tandis que Marguerite repose, que Julius déballe avec la bonne et que Véronique surveille les préparatifs du repas, Anthime s'occupe de Julie qu'il a emmenée dans sa chambre. Il avait quitté sa nièce toute petite et reconnaît mal cette grande fillette au sourire déjà gravement ingénu. Au bout d'un peu de temps, comme il la tient près de lui, causant des menues puérilités qu'il espérait pouvoir lui plaire, son regard s'accroche à une mince chaînette d'argent que l'enfant porte au cou et à laquelle il flaire que doivent être suspendues des médailles. D'un glissement indiscret de son gros index il ramène celles-ci sur le devant du corsage et, cachant sa maladive répugnance sous un masque d'étonnement:

-- Qu'est-ce que c'est que ces machinettes-là?

Julie comprend fort bien que la question n'est pas sérieuse; mais pourquoi s'offusquerait-elle?

-- Comment, mon oncle! vous n'avez jamais vu des médailles?

-- Ma foi non, ma petite, ment-il; ça n'est pas joli-joli, mais je pense que cela sert à quelque chose.

Et comme la sereine piété ne répugne pas à quelque espièglerie innocente, l'enfant avise, contre la glace au-dessus de la cheminée, une photographie qui la représente et, la désignant du doigt:

-- Vous avez là, mon oncle, le portrait d'une petite fille qui n'est pas non plus joli-joli. A quoi donc peut-il vous servir?

Surpris de trouver chez une cagotine un si malicieux esprit de repartie, et sans doute tant de bon sens, l'oncle Anthime est momentanément désarçonné. Avec une fillette de neuf ans, il ne peut pourtant pas engager une discussion métaphysique! Il sourit. La petite aussitôt se saisissant de l'avantage et montrant les piécettes saintes:

-- Voici, dit-elle, celle de sainte Julie, ma patronne, et celle du Sacré-Coeur de Notre...

-- Du bon Dieu, tu n'en as pas une? interrompt absurdement Anthime.

L'enfant répond très naturellement:

-- Non; du bon Dieu, on n'en fait pas... Mais voici la plus jolie: c'est celle de Notre-Dame de Lourdes, que m'a donnée la tante Fleurissoire; elle l'a rapportée de Lourdes; je l'ai mise à mon cou le jour où petit père et maman m'ont offerte à la Sainte Vierge.

C'en est trop pour Anthime. Sans chercher à comprendre un instant ce qu'évoquent d'ineffablement gracieux ces images, le mois de mai, le blanc et le bleu cortège des enfants, il cède à un maniaque besoin de blasphème:

-- Elle n'a donc pas voulu de toi, la bonne Sainte Vierge, que tu es encore avec nous?

La petite ne répond rien. Se rend-elle compte déjà qu'à de certaines impertinences le plus sage est de ne rien répondre? Au reste, qu'est-ce à dire? après cette question saugrenue, ce n'est pas Julie, c'est le franc-maçon qui rougit, -- trouble léger, compagnon inavoué de l'indécence, confusion passagère que l'oncle cachera en déposant sur le front candide de sa nièce un respectueux baiser réparateur.

-- Pourquoi faites-vous le méchant, l'oncle Anthime?

La petite ne se méprend pas: au fond, ce savant impie est sensible.

Alors pourquoi cette résistance obstinée?

A ce moment Adèle ouvre la porte:

-- Madame réclame mademoiselle.

Apparemment Marguerite de Baraglioul redoute l'influence de son beau-frère et se soucie peu de laisser longtemps sa fille avec lui. C'est ce qu'il osera lui dire, à demi-voix, un peu plus tard, tandis que la famille se rend à table. Mais Marguerite lèvera sur Anthime un oeil encore légèrement enflammé:

-- Peur de vous? Mais, cher ami, Julie aurait converti douze de vos pareils avant que vos moqueries aient pu remporter le plus petit succès sur son âme. Non, non, nous sommes plus solides que cela, nous autres. Tout de même songez que c'est une enfant... Elle sait tout ce qu'on peut attendre de blasphème d'une époque aussi corrompue et dans un pays aussi honteusement gouverné que le nôtre. Mais il est triste que les premiers motifs de scandale lui soient offerts par vous, son oncle, que nous voudrions lui apprendre à respecter.

OPUS I – ANNUS LX por Francisco Vaz Brasil


OPUS I – ANNUS LX
Francisco Vaz Brasil


assim estava escrito
estava escrito assim
escrito assim estava

mentir matar morrer
matar morrer mentir
morrer mentir matar

porque mentiu morreu
mentiu morreu porque
morreu porque mentiu

severina vida morte
vida morte severina
morte severina vida

sábado, 26 de janeiro de 2013

sexta-feira, 25 de janeiro de 2013

TRABALHOS DOMÉSTICOS Edward Taylor


TRABALHOS DOMÉSTICOS
Edward Taylor

Faze de mim, Senhor, tua roca de fiar.
Tua Palavra Santa seja a fibra que eu uso.
Sejam-me as afeições volantes a rodar,
E faze de minh’alma o teu sagrado fuso.
Minha conversação, enfim, seja a bobina,
Que enrola o fio trançado em tal roca divina.

Para tecer a linha, faz de mim tear:
Meus carretéis, teu Santo Espírito, Senhor;
E vem tecer tu mesmo o pano. É fio sem par.
Tuas leis sejam-me a greda do pisoador.
Tinge o tecido com matizes celestiais;
Flores do Paraíso o adornem ainda mais.

Reveste-me com ele o intelecto, a vontade,
O juízo, a afeição, a consciência, a memória,
Palavras e atos, para encher sua claridade
De glória meus caminhos, e te dar mais glória.
Assim meus santos trajes vos revelarão
Que estou vestido para a glorificação.

Retirado de:
VIZIOLI, Paulo. Poetas Norte Americanos. Antologia Bilingue. São Paulo: Lidador, 1974.

Ars Poetica By Archibald Macleish

Ars Poetica
By Archibald Macleish

A poem should be palpable and mute
As a globed fruit,

Dumb
As old medallions to the thumb,

Silent as the sleeve-worn stone
Of casement ledges where the moss has grown –

A poem should be wordless
As the flight of birds.

A poem should be motionless in time
As the moon climbs,

Leaving, as the moon releases
Twing by twing the night-entangled trees,

Leaving, as the moon behind the winter leaves,
Memory by memory the mind –

A poem should be motionless in time
As the moon climbs.

A poem should be equal to:
Not true.

For all the history of grief
As empty doorway and a maple leaf.

For love
The leaning grasses and two lights above the sea –

A poem should be not mean
But be.

Retired from:
VIZIOLI, Paulo. Poetas Norte Americanos. Antologia Bilingue. São Paulo: Lidador, 1974.

quinta-feira, 24 de janeiro de 2013

Sisters of the Night by Jeremiah Moss


Sisters of the Night


The Paris Review - August 3, 2012 

The bookstore, and especially the used bookstore, is vanishing from New York City. Today there are a few, but there used to be a multitude of them, crammed between kitchen appliance shops and Laundromats and thrift stores. They all had temperamental cats prowling their aisles and they all smelled wonderfully of what a team of chemists in London has called “a combination of grassy notes with a tang of acids and a hint of vanilla over an underlying mustiness.” I will miss terribly this stimulating fragrance, and the books that produce it, when it’s washed from the city for good. Luckily, there are towns that still accommodate used bookshops. Lambertville, New Jersey, is one of them. On North Union Street, there are two used bookstores, Panoply and Phoenix Books, one right across from the other. You can spend hours here, and it’s guaranteed that you’ll return with some grassy, musty artifact of the past. On my last visit to Panoply, I came home with a copy of Sisters of the Night: The Startling Story of Prostitution in New York Today by “veteran newspaperman” Jess Stearn.
Published in 1956, the book began as an assignment for the Daily News when Stearn’s editor told him to find out what makes prostitutes “tick.” He was told, “Get out and talk to the girls, see the judges, the social workers, the cops, the headshrinkers—you won’t win a Pulitzer Prize but it should be worth reading.” Dragging his feet, the reluctant Stearn complied, going out in search of what one of the book’s reviewers called the “orchidaceous girls” of the city.
A faded black-and-white photo. Suited and tied, he looks tired as hell, resting his arms atop his clunky manual typewriter at a desk covered in a snowdrift of papers. He has deep, dark circles under his eyes. I wonder if the photo was taken during the writing of Sisters of the Night, when Stearn was up all hours prowling the city’s backwater joints, pretending to be a john so he could talk one-on-one with hard-edged young women in crummy rooms and dingy restaurants, where they dragged at cigarettes and told their stories of abuse, drugs, and fun. He worked hard to depict them just as they were. As the girls speak, leaning close, you can almost smell the spearmint chewing gum snapping in their mouths, mixed with nicotine and a cloud of Tabu, “the forbidden perfume.”
Tabu: The Forbidden Scent, 1950s

In a bar near Madison Square Garden, a blonde B-girl (the B stands for “bar”) explains to the author why she prefers sailors to other men: “With sailors there’s not much chance of getting hurt. They’re on the go and so are we . . . I’ve taken many a sailor who was down and out to my room. I might have spent the night with a boy from Princeton and done myself some good, but I didn’t.” The B-girl likes getting letters from the sailors, envelopes with exotic stamps that she collects and trades with other B-girls. But she’s no stamp-collecting whore. “I want you to know one thing, Mr. Reporter,” she tells Stearn. “I’m not a tramp. I work hard during the day. I’m a clerk in a factory. It’s damn dull, and the nights are the only thing that keep me alive.”
The B-girls hope to find romance, maybe even marriage. Some are attractive, others not so much. Most started hustling in their teens. Peggy is one of them. In her diary—stuffed with paper Valentines, restaurant menus, and ticket stubs—she writes about nights smoking “reefers” and juggling a stable of brutal men who offer small gifts in exchange for favors—“He bought us a gang of drinks, plus cigarettes and nickels for the jukebox and when we were going home he gave me $1 for cab fare.” But Peggy is still in pain. “I went to the candy store to listen to records. I had Steve’s picture with me. And, diary, while listening to the records, I felt so lonely and empty inside.” Peggy got busted as a first offender, then vanished from the NYPD’s records.
After the B-girls, Stearn learns about “pony girls.”
A cross between a B-girl and a call girl . . . a pony’s big-time stuff, but she picks her own men. They generally work out of some East Side bar where the Johns know where to find them. The bartenders freeze out servicemen and other stiffs because they aren’t well heeled. The ponies are after big money.
Cool in their metallic gowns, slinking through bars on shabby streets near Rockefeller Center, the pony girls cost $50 an hour, far more than the lowly streetwalker who offers herself to men at a hamburger counter for 75 cents a pop.
52nd Street, 1950s
Stearn teams up with a friend for courage and tracks the pony girls to 52nd Street. Also known as Stripty-Second, this part of the street has been taken over by burlesque. Time magazine said of the scene: “nightclubs in sorry brownstones crowd each other like bums on a breadline,” each one featuring dancers peeling it off to three-piece bands. In one shabby club, Stearn and his friend talk with a buxom blonde chanteuse from Buffalo who loves the poetry of Dylan Thomas. She laughs when Stearn propositions her, saying, “The only thing we hustle here is drinks—I’d get canned if I took a live one out of here.” But the dancer on stage is rumored to be “a call girl in flimsy disguise,” a star who charges $100 for her phone number, $200 for lunch, and $1,500 for weekend cruises. “Why does she bother with a night-club act?” Stearn’s friend asks him over watered-down whiskies. “That’s easy,” Stearn jokes, “even Macy’s has to advertise.” But he and his friend can’t afford her and they move back out into the night. The author still hasn’t answered the question “What makes these girls tick?” and he’s getting tired.
In a downtown restaurant he talks to Willie the Weasel, an emaciated pimp who watches his girls through a peephole while they work.
“I used to have to hold on to my sides,” he says, “or I might have split a gut from laughing. They were a howl. Some of these old guys with the big bellies would stand there and say to the girl, ‘Whip me.’ So she’d whip until they were screaming. And they’d scream, ‘Harder, harder!’ And you should have seen the looks on their faces—like baboons.”
Next, Stearn visits an apartment on Central Park, in a “very respectable building” where the management thinks the girls are models in the Garment District. Here, high-end call girl Jane sits chain-smoking and stroking a Pekingese in her lap, telling of her days making $1,000 a week. She fell in love with one of her Johns, a boy who “sent me so many flowers the place smelled like a funeral parlor.” But that didn’t last. “Love, schmove,” she says, “who knows about love?” Jane hopes for a career in show business. “They tell me that I have more versatility than a lot of those dames on TV.”
In an East Side bar, Georgia sips a Martini and talks of working stag parties where she takes on gangs of Johns. She gets beaten up by bachelors, clean-cut young men who leave her blacked out, surrounded by empty bottles and cigarette butts. It’s nothing a bowl of hot broth and some sleeping pills can’t fix. She keeps going back for more. In an untidy tenement living room, a “vivacious redhead” shares the poetry she writes about suicide, about jumping into the East River. She was once the wife of an iceman, then she was a hat-check girl, and now she hustles, searching for the “big-timer” who’ll marry her and make her “Mrs. Rich Bitch.” But it hasn’t happened yet.
And there’s Eileen, a girl from a good family who came to New York to work a legitimate job, but the employment agency men “kept asking me to lift my skirt, so they could see my legs. A couple of them suggested that I start as a cigarette girl or camera girl in night clubs.” She fell into prostitution, and now she feels too dirty to live the straight life. “I’ve made my bed and I’m going to lie in it,” she says, resigned.
After all his talking to prostitutes and pimps, Stearn still doesn’t understand “what makes them tick.” So he seeks out a psychoanalyst, a “headshrinker” who’s an authority on the subject. Prostitutes hate men, the shrink explains, they all have a weak father figure and they seek revenge against him. “They are sick women bent on self-destruction,” he says, “and they first destroy what men prize above everything else in a woman—female virtue.” But prostitutes also have a paradoxical love for unfortunate men. Why are they so kind-hearted, Stearn wonders, with blind beggars, violin-playing cripples, hunchbacks, and legless mendicants perambulating on roller-skate platforms?
I don’t know if Jess Stearn ever satisfied his questions and I wondered what became of him, that tired, beleaguered fellow on the back of the book jacket. A quick Googling revealed that, after Sisters of the Night, he went on to write books with subtitles like Drug & Delinquent StoriesA Startling Investigation of the Spread of Homosexuality in America, and A Report on the Secret World of the Lesbian. Then he left smutty New York City for the clean living of Malibu where he dedicated himself to psychic phenomena, yoga, reincarnation, and the life of New Age forefather Edgar Cayce. In later photos and videos, he is no longer the weary newspaperman, but a smiling, silver-haired Californian wearing cable-knit sweaters among the palm trees. He died in 2002 at age 87. His New York Times obit read: “No funeral services are planned for the writer, who believed he had lived previously and would live again.”
As for all those B-girls and pony girls, did any of them get to live another life? I imagine that some went back to checking hats and selling cigarettes, some tried acting, some ended up dead too soon—murdered, overdosed, jumped into the East River—and some surely left the city’s seamy joints and dives to shuffle back to Buffalo (or Kenosha, Cuyahoga, Lambertville), where they became mothers and grandmothers, members of the local Junior League, spending summer weekends weeding gardens and whipping up batches of Ambrosia. They’d be into their seventies by now. I’d like to think there’s a woman somewhere who, wisely suspicious of e-readers, will wander into some moldy shop, hungry for the smell and the feel of old books. She’ll happen upon Sisters of the Night and recognize herself as Georgia, Jane, or Eileen—no, this is Peggy, the girl who got away. (She goes by Margaret now.) Turning the yellowed pages, she’ll read excerpts from her forgotten teenage diary, heart pounding to recall the wild, lost girl she was when she wrote long ago: “I remember once wanting to be a nurse, or else going to teaching school. I knew all along they were only dreams. I guess the only way you get anyplace is by hustling for it. I wonder whether I’ll make a good hustler.”
I just hope I didn’t take the copy meant for her.

Jeremiah Moss is the pseudonymous author of the blog Jeremiah’s Vanishing New York. He has also written about the city for The New York Times.